Près de la moitié de la population française ne gère pas son capital santé et s'implique peu dans la prévention des maladies.
Deux Français sur trois prennent des risques avec leur santé et ils en sont parfaitement conscients. Derrière cette apparente lucidité se cache un bilan inquiétant : un Français sur deux ne s'occupe pas de son capital santé et s'attend à être pris en charge par la Sécurité sociale en cas de pépin. Plus du quart d'entre eux, soit plus de 13 millions de personnes, vivent dans une tranquille insouciance et restent sourds aux recommandations des professionnels de santé (lire encadré) et aux campagnes d'information. « Les actions de prévention comme les bilans médicaux sont encore peu associées à la notion de gestion de la santé. », constate le sondage qui vient d'être réalisé sur la perception de la santé dans l'Hexagone (*).
Une constatation réalisée récemment dans un hôpital parisien confirme ce détachement, qui frôle parfois la désinvolture suicidaire : près de la moitié des personnes ayant subi une intervention chirurgicale après un problème cardio-vasculaire (pontage) recommencent à fumer dans les semaines qui suivent la sortie de l'hôpital. Depuis des années, les psychologues tentent de répondre à cette question. Pourquoi les êtres humains sont si négligents avec leur bien le plus précieux ?
En fait, il existe un très gros décalage entre les intentions et les faits. La quasi-totalité des Français (98 %) associent le concept de « gestion du capital santé » à une « bonne hygiène de vie ». Mais seulement 80 % mettent effectivement en pratique ces bonnes dispositions. « Les Français comptent sur le système collectif de santé pour prendre en charge leurs maladies et s'investissent peu en amont. Pour la majorité, la santé reste un dû, plutôt qu'un devoir », estime l'enquête. « C'est un phénomène de dichotomie classique qui consiste à dire : je sais ce qu'il faut faire, mais je ne le fais pas. Cela montre les limites des campagnes d'information sur la santé », juge Claude Le Pen, économiste de la santé et professeur à l'université de Paris-Dauphine.
Comportements à risque
Pour Bernard Debré, de l'hôpital à Cochin, et député UMP, c'est le système hexagonal orienté sur « le curatif et le remboursement des soins » qui est partiellement responsable d'une situation « où la médecine soignante l'a emporté sur la médecine d'hygiène ». Même son de cloche chez le député PS Jean-Marie Le Guen, lui aussi médecin, qui estime qu'il n'y a pas de « culture de la santé publique en France, alors qu'il y a un hôpital tous les 15 kilomètres ». En d'autre termes, la médicalisation est souvent jugée plus efficace que la prévention. Une chose est sûre, les liens entre mode de vie et maladie sont un des sujets en vogue dans le monde de la recherche. Le dernier rapport de l'Académie de médecine (**) met clairement l'accent sur un certain nombre de comportements qui « mettent la santé en danger ». Cette enquête est en fait une compilation des études épidémiologiques disponibles dans la littérature scientifique ouverte (méta-analyse). Elle se contente de pointer du doigt certains agents chimiques dont on sait clairement mesurer l'impact négatif. Le premier de ces tueurs de la vie de tous les jours est évidemment le tabac : « 43.500 cancers sont attribués au tabac en France en 2000, ce qui correspond chez les hommes à 27 % de l'incidence des cancers et à 33 % des décès, et chez les femmes, à 6,1 % de l'incidence et 9,6 % de la mortalité », rapporte le document.
L'effet cancérogène de l'alcool, dont la consommation a considérablement baissé en France au cours des trente dernières années, est également très bien documenté. Autre mauvais ami : le soleil. Selon une étude australienne, 68 % des mélanomes sont le résultat d'une exposition aux UV. Certaines crèmes antisolaires « accélérant le bronzage » ont d'ailleurs un effet aggravant (quand elles contiennent du 5-methoxypsoralène). « On ne trouve en France une cause spécifique que pour la moitié des cancers. On escompte en trouver d'autres dans l'avenir, et tout doit être fait pour accélérer le processus », estime l'Académie de médecine, qui réclame « de grandes études prospectives sur les facteurs de risque exogènes et endogènes ». Ces experts suggèrent notamment de regarder de près les expositions « pré et post-natales et celles survenues pendant l'enfance et l'adolescence ».
Marge de manoeuvre étroite
La connaissance objective de ces facteurs permettra-t-elle de convaincre les « insouciants » et les « fatalistes » ? La marge de manoeuvre est étroite, entre responsabilisation (qui marche parfois) et culpabilisation (qui ne marche jamais). Particulièrement chez les adolescents, présentés comme la population qui tire le plus de chèques en blanc sur sa santé. Un ouvrage récent réalisé par un collectif de chercheurs dirigé par Claude Griscelli (***), montre les difficultés de l'exercice. « Les adolescents ont finalement une conscience assez aiguë que jouer avec le feu est d'abord un moyen d'attirer l'attention. Le problème est qu'ils ne prennent pas assez conscience des conséquences désastreuses que cela pourrait avoir pour eux », indique le document. Du coup, les conduites à risque des ados deviennent une « sorte de reconnaissance identitaire ». De surcroît, et comme l'indique le pédopsychiatre Philippe Jeammet, « le choix de se faire du mal est insidieusement valorisé par le dolorisme de la société ».
Les échos le 03/10/2007
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