Traquer les sentiments intimes des consommateurs? L’affaire soulève des inquiétudes. Et beaucoup de scepticisme. Malgré son jeune âge, le neuromarketing est un enfant de la controverse.
Aux États-Unis, l’organisation Commercial Altert, fondée par l’ancien candidat à l’élection présidentielle Ralph Nader, a déclaré la guerre au neuromarketing. Elle va même jusqu’à questionner la moralité des chercheurs qui effectuent ce genre de travaux. «Il est mauvais d’utiliser des technologies médicales comme le scanner pour vendre des produits, au lieu de s’en servir pour soigner les gens», écrit le directeur de Commercial Alert, Gary Ruskin, dans un récent communiqué.
Mais la contre-attaque n’a pas tardé. «Observer l’activité cérébrale (...), cela ne signifie pas contraindre un cerveau à prendre une décision d’achat», a expliqué au Business Week Martin Lindstrom, cofondateur d’une filiale d’Omnicom, le géant de la publicité et des communications basé à Londres. D’autres spécialistes ont comparé le neuromarketing à un pêcheur qui utilise un sonar pour vérifier la présence de poissons. Cela ne lui garantirait pas que le poisson va mordre.
Tout dépend des objectifs
«Le fait de mesurer l’activité cérébrale, ce n’est pas plus ou moins moral que le fait de distribuer des questionnaires pour tenter de connaître les intentions des consommateurs», explique pour sa part Jean-Charles Chebat, titulaire de la chaire des espaces commerciaux à l’École des Hautes études commerciales. Selon lui, tout dépend des objectifs de la recherche. En collaboration avec l’Institut neurologique de Montréal, M. Chebat utilise le neuromarketing pour... limiter la consommation. Plus particulièrement, il mesure la réaction des fumeurs à différents messages afin de rendre plus efficaces les publicités contre le tabac.
Reste que le neuromarketing se heurte encore à plusieurs obstacles. D’abord, la technologie n’est pas à la portée du premier venu. «En général, il vous faut réunir un échantillon d’au moins une centaine d’individus. Et vous devez compter 500 $ au minimum pour chacun d’eux», explique Maurice Ptito, professeur à l’Université de Montréal. Faites le calcul. Une étude de neuromarketing assez modeste coûte généralement plus de 100000 $, ce qui explique que seules des multinationales comme L’Oréal, Daimler Chrysler, Protor & Gamble ou Nestlé puissent se le permettre.
Autre problème : la disponibilité des machines, souvent réservées à la médecine. Pourquoi le marketing aurait préséance? «Sur le plan de l’éthique, je trouve un peu scandaleux qu’à Harvard, par exemple, une équipe de recherches mette de l’appareillage aux services du marketing de multinationales plutôt que de dispenser des soins médicaux, soutient Claude Cossette, professeur de publicité au département d’information et de communication de l’Université Laval.
Par-dessus tout, le neuromarketing devra vaincre le scepticisme d’une partie de la communauté scientifique et même d’une partie des publicitaires. «Le neuromarketing, c’est à la mode, conclut Claude Cossette. On pense qu’il s’agit de la solution miracle pour manipuler le consommateur. Mais depuis 30 ans, j’en ai vu d’autres. Je me souviens de l’époque où l’on étudiait le mouvement de l’œil. Il y a eu aussi la publicité subliminale, qui devait asservir le consommateur. Alors oui, cela permettra sans doute de recueillir plus d’information, mais ça ne fera pas de miracle.»
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